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Patrice Emery Lumumba, né le 2 juillet 1925 à Onalua, aurait feté aujourd’hui ses 87 ans.

A l’occasion du 50 è anniversaire de l’indépendance du Congo, je vous repropose le discours de l’ancien premier ministre congolais Patrice Emery Lumumba.


Congolais et Congolaises,

Combattants de l’indépendance aujourd’hui victorieux,

Je vous salue au nom du gouvernement congolais,

A vous tous, mes amis, qui avez luttésans relâcheànos côtés, je vous demande de faire de ce 30 juin 1960, une date illustre que vous garderez ineffaçablement gravée dans vos coeurs, une date dont vous enseignerez avec fiertéla signification àvos enfants, pour que ceux­ci,àleur tour, fassent connaîtreàleurs enfants l’histoire glorieuse de notre lutte pour la liberté.

Car cette indépendance du Congo, si elle est proclamée aujourd’hui dans l’entente avec la Belgique, pays ami avec qui nous traitons d’égalàégal, nul Congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier cependant que c’est par la lutte qu’elle a étéconquise (applaudissements), une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle nous n’avons ménagéni nos forces, ni nos privations, nos souffrances, ni notre sang.

Cette lutte, qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu’au plus profond de nous­mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable pour mettre fin a l’humiliant esclavage qui nous était imposépar la force.

Ce que fut notre sort en 80 ans de régime colonial, nos blessures sont trop fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions les chasser de notre mémoire; Nous avons connu le travail harassant, exigéenéchange de salaires qui ne nous permettaient ni de mangerànotre faim; ni de nous vêtir ou nous loger décemment, ni d’élever nos enfants comme des êtres chers.

Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir parce que nous étions des nègres.

Qui oubliera qu’àun Noir on disait « tu », non certes comme un ami, mais parce que le « vous » honorableétait réservéaux seuls blancs ?

Nous avons connu que nos terres fussent spoliées au nom de textes prétendument légaux qui ne faisaient que reconnaître le droit du plus fort.

Nous avons connu que la loi n’était jamais la même selon qu’il s’agissait d’un Blanc ou d’un Noir, accommodante pour les uns, cruelle et inhumaine pour les autres.

Nous avons connu les souffrances atroces des relégués pour opinions politiques ou croyances religieuses, exiles dans leur propre patrie, leur sort était vraiment pire que la mort elle­même.

Nous avons connu qu’il y avait des maisons magnifiques pour les Blancs et des paillotes croulantes, ni dans les magasins dits européens, qu’un Noir voyageait a même la coque des péniches, aux pieds du Blanc dans sa cabine de luxe.

Qui oubliera enfin les fusillades oùpérirent tant de nos frères, les cachots oùfurent brutalement jetés ceux qui ne voulaient plus se soumettre au régime d’une justice d’oppression et d’exploitation.

Tout cela, mes frères, nous en avons profondément souffert. Mais tout cela aussi, nous que le vote de vos représentantsélus a agréés pour diriger notre cher pays, nous qui avons souffert dans notre corps et dans notre coeur de l’oppression colonialiste, nous vous le disons tout haut, tout cela est désormais fini.

La République du Congo aétéproclamée et notre cher pays est maintenant entre les mains de ses propres enfants. Ensemble, mes frères, mes soeurs, nous allons commencer une nouvelle lutte, une lutte sublime qui va mener notre paysàla paix,àla prospéritéet àla grandeur.

Nous allonsétablir ensemble la justice sociale et assurer que chacun reçoive la juste rémunération de son travail.

Nous allons montrer au monde ce que peut faire l’homme noir quand il travaille dans la liberté, et nous allons faire du Congo le centre de rayonnement de l’Afrique tout entière.

Nous allons veilleràce que les terres de notre patrie profitent véritablement àses enfants.

Nous allons revoir toutes les lois d’autrefois et en faire de nouvelles qui seront justes et nobles. Nous allons mettre finàl’oppression de la pensée libre et faire en sorte que tous les citoyens jouissent pleinement des libertés fondamentales prévues dans la Déclaration des Droits de l’homme.

Nous allons supprimer efficacement toute discrimination quelle qu’elle soit et donneràchacun la juste place que lui vaudra sa dignitéhumaine, son travail et son dévouement au pays.

Nous allons faire régner non pas la paix des fusils et des baïonnettes, mais la paix des coeurs et de bonnes volontés.

Et pour tout cela, chers compatriotes, soyez sûrs que nous pourrons compter non seulement sur nos forcesénormes et nos richesses immenses, mais sur l’assistance de nombreux pays étrangers dont nous accepterons la collaboration chaque fois qu’elle sera loyale et ne cherchera pas ànous imposer une politique quelle qu’elle soit.

Dans ce domaine, la Belgique qui, comprenant enfin le sens de l’histoire, n’a pas essayéde s’opposerànotre indépendance est prêteànous accorder son aide et son amitié, et un traitévient d’être signédans ce sens entre nos deux pays égaux et indépendants.

Cette coopération, j’en suis sûr, sera profitable aux deux pays. De notre côté, tout en restant vigilants, nous saurons respecter les engagements librement consentis.

Ainsi, tantàl’intérieur qu’àl’extérieur, le Congo notre chère république que mon gouvernement va créer, sera un pays riche, libre et prospère.

Mais pour que nous arrivions sans retardàce but, vous tous législateur et citoyens congolais, je vous demande de m’aider de toutes vos forces.

Je vous demande àtous d’oublier les querelles tribales qui nous épuisent et risquent de nous faire mépriser àl’étranger. Je demande àla minoritéparlementaire d’aider mon gouvernement par une opposition constructive et de rester strictement dans les voies légales et démocratiques.

Je vous demandeàtous de ne reculer devant aucun sacrifice pour assurer la réussite de notre grandiose entreprise. Je vous demande enfin de respecter inconditionnellement la vie et les biens de vos concitoyens et des étrangers établis dans notre pays.

Si la conduite de cesétrangers laisseàdésirer, notre justice sera prompteàles expulser du territoire de la République. Si par contre, leur conduite est bonne, il faut les laisser en paix, car eux aussi travaillent àla prospéritéde notre pays.

L’indépendance du Congo marque un pas vers la libération de tout le continent africain.

Voilà, Sire, Excellences, Mesdames, Messieurs, mes chers compatriotes, mes frères de ma race, mes frères de lutte, ce que j’ai voulu vous dire au nom du gouvernement en ce jour magnifique de notre indépendance complète et souveraine.

Notre gouvernement fort, national, populaire, sera le salut de ce pays. J’invite tous les citoyens congolais, hommes, femmes et enfants, de se mettre résolument au travail en vue de créer une

économie nationale prospère qui consacrera notre
indépendance économique.
Hommage aux combattants de la liberténationale!
Vive le Congo indépendant et souverain!